tonight my lips will scorch your flesh — V.E.B

La porte des Trois Balais ne cessait de s’ouvrir puis de se refermer, laissant entrer avec ses visiteurs une bise hivernale qui réveillaient les têtes réduites endormies dans des insultes profuses. Il devait être dix-huit heures, le monde commençait à envahir les tables et le bar, saturait l’atmosphère de rires et de conversations. Un bonnet de laine enfoncé jusque sur ses oreilles, Venceslaus sirotait une bièreaubeurre déjà bien entamée. Peut-être aurait-il préféré l’intimité de la Tête de Sanglier, mais il mettait bien souvent de côté sa lassitude de la foule pour déguster les bièreaubeurres de ce pub. La chaleur des lieux était communicative, et bienvenue en cette saison. Il échangeait parfois une œillade, un sourire, un mot avec un habitué. Avec le métal perçant son septum et les litres d’encre noircissant chaque parcelle de peau visible, le jeune homme était connu et reconnu depuis son installation ici. Rien ne le prédestinait pourtant à finir à Pré-au-Lard ; pour qui a de l’ambition, ce n’est certes pas le meilleur endroit où finir. Mais il y avait un charme dans ces bâtisses et ces rues pavés, entre les enseignes en boiseries enchantées et les hiboux envahissants les toits. Il y avait un parfum d’enfance ici, surtout près des portes d’Honeydukes. Le château de Poudlard en arrière-plan, majestueux sous le soleil ou paisible recouvert d’un manteau de neige. Tout cela était parfaitement ... magique.

L’homme termina sa pinte, léchant la mousse sucrée de ses lèvres fines avant de descendre souplement du haut tabouret. Deux mornilles laissées sur le comptoir, Venceslaus resserra les pans de son manteau pour sortir dans un vague d’insultes charmantes auxquelles il sourit discrètement, étirant la dentition surnaturelle gravée sur sa peau. Le soleil tombait tôt à cette période de l’année, les fêtes approchaient et chaque magasin se revêtait de son habit de lumière. Du haut de ses vingt-sept ans et de son air froid et inaccessible, il appréciait ces festivités. Il n’était pas aussi rabat-joie qu’il semblait l’être, enfin. De longues enjambées lui faisaient remonter la rue relativement déserte, les passants se pressant à rentrer chez eux ou dans le premier magasin venu pour se réchauffer. Il se souvenait du nombre de fois où il était venu ici, quelques centimètres en moins et des cheveux en plus, sa robe d’étudiant protégée d’un Impervius pour repousser les flocons. Il ne prenait plus ce genre de précaution à présent ... mais il n’avait plus non plus le blason de Serdaigle sur le torse. Une marque plus macabre encore que le reste de ses tatouages avait remplacé cela sur son avant bras, noyé dans la masse et caché sous son pull. Il était pourtant un homme comme un autre ; un commerçant poussant la porte d’un bâtiment étroit pour se réfugier dans ses murs aseptisés. Il avait toute sa vie connue cette odeur de désinfectant, de propre ; inconsciemment, cela lui plaisait même si mettre les pieds dans un hôpital le rendait nauséeux pour cette même odeur. Il connaissait les recoins de Sainte Mangouste au moins autant que son directeur ; les ayant arpentés dès ses premiers pas pour y suivre ses parents, y admirer leur lieu de travail et attendre patiemment la fin d’une journée de consultations aussi parfois. De doux souvenirs refoulés, évoqués qu’aux occasions de réunion de famille. Aujourd’hui, il ne parlait plus de ses ambitions de guérisseur ; pourtant, plus jeune, il n’aspirait qu’à suivre les pas de son père. La fascination des blouses blanches, le besoin de faire le bien autour de soi, la bienveillance de sa mère et les sourires qu’elle avait accordés à ses patients.

Son monde est pourtant aujourd’hui rempli d’aiguilles. De désinfectant et de coton, impeccablement rangés sur une paillasse immaculée. Venceslaus monta les marches de l’arrière boutique, une cheminée s’allumant sur son passage tandis qu’il jetait son manteau sur un large sofa en tissu rouge.

Il entrait en troisième année quand sa jeune vie bascula du mauvais côté. Dans une maison londonienne des plus banales, entourés de voisins moldus. La porte d’entrée s’était ouverte et un homme était entré, un arme à feu dans son poing serré. Les détonations l’avaient rendu sourd pendant un bref instant ; sourd aux cris d’horreur et aux sirènes extérieures. Il était trop tard ; Loran Elsvir était mort et avec lui, une partie de ceux qui restaient. La meilleure partie, certainement. Sa mère, Judith, replongea alors dans les sombres cauchemars de son enfance dont son petit n’avait pas idée ; il ne connaissait que son dos lacéré qu’elle n’avait jamais su totalement lui cacher. Et dans cette rechute, Venceslaus la suivit.

Tous les maux venaient des moldus, des impurs, des tarés ; la tristesse, la haine, la perte, le désespoir, tout cela était lié à leur seule existence qui les obligeait même à se cacher. Pourquoi serait-ce aux sorciers de vivre caché ? Pourquoi serait-ce aux sorciers de finir brûlés vifs sous les acclamations d’une bande de brebis bêlantes et gâteuses ? L’amertume le rongea jusqu’à le couper de son propre monde qui ne reconnaissait pas sa vision des choses. Il s’éloigna de ses amis, il s’éloigna de ses professeurs et de leur salle de cours. La troisième année fut catastrophique, la quatrième également, et l’on mit ce mal-être sur le poids du deuil. Mais alors que son avenir semblait compromis, il se réveilla comme d’un long cauchemar mais il ne serait plus le même. Ainsi, juste à temps, le sorcier se ressaisit pour ses BUSES ou du moins, limita-t-il les dégâts ... Ses absences multiples en cours s’y firent ressentir mais qu’importe. Il n’avait déjà plus l’ambition de grandes études.

S’il avait voulu faire plaisir à sa mère, il ne serait certainement pas dans cette rue estudiantine. La radio allumée en fond sonore,  avachi dans son canapé ; il s’était installé avec un carnet à dessin tandis qu’une cuillère en bois remuait dans une casserole. Mais il avait eu le droit de choisir de ce qu’il voulait faire d’une partie de l’héritage paternel ; aussi, dès qu’il le put, il acheta cette ancienne animalerie durant sa vingtième année. Des travaux avaient été nécessaire, un aménagement particulier et depuis, il y vivait isolé et ravi. Nul doute qu’ouvrir un salon de tatouages n’était pas chose commune chez les sorciers, peut-être même aurait-il plus de clientèle dans l’allée des embrumes ou même, dans une rue moldue. Mais plutôt mourir que de vivre au milieu de sous-êtres. C’est à la fin de sa septième année à Poudlard qu’il quitta même l’Angleterre pour l’Asie. Chine, Japon, Thaïlande ; c’est là-bas qu’il se fit faire cette fresque sur tout le corps, symbole d’un renouveau, et qu’il apprit à manier l’aiguille, le pinceau et le fusain. Une vie d’artiste, chose bien inattendue mais finalement acceptée.

Alors que sa mère devenait mangemort, il était simple partisan jusqu’à finalement porter le masque officiel depuis trois ans. C’était l’ordre des choses, il se retrouvait dans les idéaux du Seigneur Noir. Ce n’est pas le cas de tout le monde, et certainement pas de la brune qui vint sonner à sa porte malgré l’heure tardive, le tirant à sa concentration. Ses mains frêles se posant sur les avant-bras tatoués sans se douter du serpent qui l’enlace.