C'était un vieux livre, a la couverture en cuir abîmée par le temps.
Presque invisible dans la semi-pénombre de la salle uniquement éclairée par le chandelier ramené plus tôt par mon hôtesse, il m'avait intrigué plus d'une fois lorsque j'étais venu les fois précédentes.
Elle m'avait dit de ne pas bouger, de l'attendre ici en vérifiant que personne ne rentre pendant son absence, et franchement, vu le ton sur lequel elle me l'avait "gentiment demandé", j'aurais sûrement mieux fais de lui obéir. Pourquoi je ne fis pas? Pourquoi avais-je laissé ma curiosité l'emporter sur ma prudence habituelle?
Je ne sais pas vraiment... Peut-être était-ce la fascination que j'éprouvais envers
elle? Le désir d'en savoir plus sur sa vie, elle qui écoutais les gens venir lui confier ses problèmes... Elle devait certainement, comme toutes les femmes d'ailleurs, en avoir elle aussi? Et je la connaissais un minimum pour savoir qu'elle avait tendance à être très solitaire, et tout le monde avait besoin d'une épaule sur laquelle pleurer...
Quel idiot.
Mais revenons-en à ce carnet voulez-vous?
Cette liasse de pages sous cette épaisse couverture en cuir avait attiré mon attention plus d'une fois lors de mes précédentes venues, et ce jour là, alors que mon hôtesse me faisait la conversation -loin d'être des plus désagréables-, j'avoue avoir été tenté de le prendre pour y jeter un coup d'oeil plus d'une fois lorsqu'elle avait le dos tourné. Il fallait dire qu'elle ne parlait pas beaucoup, pas de elle dans tous les cas, et que j'avais envie de la connaître mieux, par dessous le masque qu'elle montrait à tous. Alors lorsqu'il eut cette panne de courant, occasion inespérée d'en savoir plus, se fut comme si le diable me susurrait de sa voix sifflante de m'emparer de l'objet de mes convoitises... De m'en emparer, et de ne pas m'en séparer avant d'avoir découvert ce qu'il contenait.
Je savais depuis quelques temps quel genre d'informations il recelait, tout simplement grâce à sa maîtresse qui me l'avait dit du ton le plus évident qu'il soit -il fallait aussi dire que j'avais insisté pour qu'elle m'avoue la vérité-.
Dés lors que mon hôte fut sortie de la salle, de m'étais levé le plus calmement possible, contenant la curiosité ardente qui me tordait les tripes avec brio, et je m'étais approché du petit recueil défendu d'un pas lent, mais qui ne contenait pas la moindre hésitation. Je me penchai ensuite, plissant des yeux pour observer l'apparence du livre malgré la faible lueur de mes quelques chandelles, et après m'être assuré que personne ne revenait de mon côté, je m'en saisi enfin, une satisfaction presque malsaine coulant lentement en moi.
Enfin!
Dans le silence de mort qu'il régnait dans cette grande demeure vide, il n'était pas rare que je me retourne soudainement, jurant avoir entendu quelques bruits de pas ou grincements de porte derrière moi. Je craignais à chaque secondes voir apparaître derrière mon épaule celle à qui appartenait l'objet que je désirais tant, son regard noir me transperçant de part en part, sans que je ne puisse rien y faire.
Après plusieurs secondes d'inaction, ma seule respiration comme compte à rebour avant qu'
elle ne revienne, je me décidai enfin à observer l'ouvrage sous toutes ses coutures, le tournant délicatement entre mes mains expertes, guettant chaque griffure, chaque malheureux fil qui dépassait, chaque coupure... La, le cuir avait sans doute frotté contre une roche. Ici, les pages étaient légèrement rougies et la couverture gonflée: sûrement du vin qui était tombé sur cet objet digne de culte. Et sur le dessus, des ratures, des frottements, comme si on avait abîmé le livret. Dommage, c'était un bel objet.
Mais il restait tout de même très intéressant, et si je faisait autant dure l'observation, ce n'était que pour mieux apprécier la frisson de la découverte des écrits qu'il me tardait de découvrir. Évidemment que j'avais conscience du danger qui planait sur ma tête! Du moins... qu'en partie, mais me retrouver seul dans le noir, avec celle qui obsédait mes pensées face à moi... Cette idée m'hérissait le poil.
Combien de temps se passa-t-il avant que je ne me décide à ouvrir ce fichu journal? Quelques secondes? Plusieurs minutes?
Quoi qu'il en soit, je finis par franchir le pas, et d'une main tremblante -très certainement beaucoup plus perspicace que moi en ce qui concernait mon avenir-, j'ouvrit à la dernière page, vierge, avant de faire défiler devant moi les pages bruissantes de l'ouvrage.
De temps en temps, mon regard s'attardait sur quelques mots échappés, des pages qui ne voulaient passer ou des lignes certainement très intéressantes, mais l'esprit n'y était pas. Le début.
Lire le début.
C'était à ce moment la seule pensée cohérente qu'il me restait.
En y repensait, c'était idiot. Tout. Mon comportement, mes réactions... Quel autre idiot que moi aurait put avoir la même attitude? Je ne sais pas ce qu'il m'a prit à ce moment, d'avoir cette idée folle, et de seulement espérer pouvoir la réaliser...
J'arrivai enfin au début de ce cher carnet, et à la découverte des quelques premières lignes, j'avoue avoir été surpris de voir cette écriture petite, biscornue, mais avec de larges lettres qui se voulaient reconnaissables. Mais en lisant plus attentivement ce qu'il y avait d'écris, je compris tout naturellement la cause de cette calligraphie des plus étrange.
18 Juin 1946
Cher journal,
Ca y est, je l'ai eut! De quoi? Ma communion bien sûr! C'était génial, intéressant, les adultes toujours aussi beaux... Mais on m'a dit que je pouvais tout te dire, alors je vais te dire la vérité: c'était ennuyant à mourir! Enfin bon, j'ai au moins put voir frère Edward! Il a été gentil, comme d'habitude, on a bien rigolé, et puis, devine quoi? Il m'a offert un carnet! Et oui! Celui là même ou j'écris là, maintenant tout de suite! Il m'a raconté que c'était si j'avais besoin de parler à quelqu'un, mais pas à père et mère, et que quand il était pas là... Je n'avais qu'à t'utiliser. Il m'a dit que ça "me délivrerait de mes peines", que j'aurais le coeur plus léger... "Ecris, et écris encore! Décris chaque détail, ce que tu as ressentit, mais n'écris que les moments importants, compris?" qu'il m'a dit... Tu penses que ça marchera?
J'esquissai un sourire, ce petit message d'une fillette seule était tout à fait touchant, adorable même! Je me surpris à penser que, malgré les quelques fautes, elle écrivait admirablement bien vu la date à laquelle cette confession avait été écrite.
Mais cela était loin de me suffire, et avide d'en savoir plus, je tournai la page en quête du récit suivant.
3 4 Août 1946
Cher journal,
Aujourd'hui, il s'est passé quelque chose des plus... inhabituel. Je faisais cours avec mère qui depuis quelques temps s'est mis en tête de me faire travailler pendant les vacances, jusqu'ici, rien de spécial. Mais lors de la pause, j'ai vu par la fenêtre Lily et Suzanne hurler et crier comme des possédées... Ah, oui, c'est vrai, je ne t'ai pas encore parlé de Lily et Suzanne... Et bah... Il y a rien a dire, c'est juste deux pestes qui ressemblent à des singes et qui n'ont aucuns respects... Et donc, je les ait vu hurler à l'extérieur, et en me collant à la vitre, j'ai aperçu une petite bête, j'ai pas compris tout de suite qu'est-ce que c'était, mais comme elles lui couraient après et le tapaient à l'aide d'un bâton... Je suis descendue en courant, et j'ai commencé à essayer d'aider le petit chien (oui c'était un chien). Mais seule contre les deux, je pensais pas y arriver, et là, Edward est venu! Il les a fais fuir, et on a put examiner le chien. On l'a ramené au couvent, et on l'a soigné, parce qu'il était dans un sale état! J'eut à nouveau un sourire en lisant ces lignes, car juste au dessous, quelques dessins enfantins représentaient une bestiole noire à quatre pattes, un bandage sur la tête, entouré de deux bonhommes naïfs, l'un en robe noire bien plus grand que l'autre, en jupe et T-shirt court.
Elle avait vraiment été adorable dans son enfance! Mais n'avions-nous tous pas été un jour, comme cette fillette qui courait la campagne pour secourir le chiot et la jument?
A ce moment, Edward a dis une expression que je ne connaissais pas: "Regarde le! On dirait un Gueule-Cassé!". Je l'ai sûrement regardé bizarrement, parce qu'il m'a semblé un peu mal à l'aise... Et quand je lui ait demandé ce que c'était, il m'a expliqué après longtemps que c'était le nom qu'on donnait aux survivants blessés de la Guerre... Parce que oui, il a participé à la guerre, enfin à la fin de la guerre qui vient de finir, même s'il n'était qu'infirmier. Il paraît que c'est après cela qu'il est devenu "frère".
En fait, c'est comme mon père, lui aussi a participé à la guerre, mais en soldat lui. Mais ça c'est mère qui le dit... Je ne le connais pas, on me dit que c'est mon père, celui dont mère me parle depuis des années, mais quand je le vois... Ce n'est pas de lui dont elle parle.
Voila, une journée chargée, après ça, quand je suis rentrée, Edward m'a excusé auprès de mère, mais j'ai quand même reçu des lignes, tant pis! Au moins, j'aurai profité de ma journée, on revient à Londres dans une semaine... Je n'ai pas hâte de dire au revoir à Edward.
P.S. : le chien, on l'a appelé Darcy, comme le nom du Saint du jour
Darcy... Quel joli nom!
Bon, un peu excentrique, mais en tant que ferru d'histoire et religieux, j'avoue que c'était un bon choix de nom, surtout pour un animal.
Je feuilletai encore un peu le carnet bondé de croquis, d'écrit, lisant beaucoup plus rapidement quelques mots pour me situer dans son histoire. Je m'arrêtai régulièrement sur certaines pages intéressantes, observant l'écriture s'affiner d'années en années pour devenir plus gracieuse, plus attirante, plus féminine.
J'appris grâce à ce livre la difficutlé de compréhension de sa narratrice sur les gens qui l'entouraient, sa relation houleuse avec celui qu'elle appelait "père", et sa mère qui en exigeait bien plus d'elle que ce qu'elle ne pouvait lui donner.
Entre ces pages, je découvrit sa propre surprise alors qu'elle se découvrit des pouvoirs étranges, son sentiment d'abandon lorsque ses parents la délaissèrent, illustré par l'encre délavée, sûrement par la faute de ses larmes. Les bords des feuilles à cet endroit étaient légèrement déformés, sans doute la pluie cette fois, ou peut-être de la bave de "Darcy" qui l'avait apparemment accompagné dans son malheur. Je suivis mentalement son parcours, depuis la mise à la porte et du taxi qui la ramena à la gare de Londres, jusqu'à son arrivée à Poudlard, après une douloureuse séparation avec sa bestiole chérie. Son incompréhension face à ses "pouvoirs", ses difficultés à s'intégrer aux autres élèves...
Ce carnet recueillait tous les détails de sa vie, plus ou moins espacés, et jusqu'à des temps beaucoup plus récent.
Je ne sais pas combien de temps je suis resté à mi-chemin entre la lecture et une sorte de transe angoissante, peut-être quelques secondes, peut-être des heures... Je me demande encore comment je ne me suis pas fait prendre avant. Peut-être était-elle passée derrière moi plusieurs fois? Elle se serait alors arrêtée pour m'observer, une lueur amusé dans le regard, avant de faire comme si elle ne m'avait pas vu? Allez savoir, moi même je n'en sais toujours rien!
Mais le petit hic... Le seul problème...
Ce fut lorsque j'arrivai à la date fatidique du 30 Mars 1964. Au départ, je ne m'y attardai pas, continuant de faire défiler les pages, du moins, avant que je ne remarque que les mêmes mots se répétaient sur trois pages entières.
"Il le méritai, il le méritai, il le méritai..."
J'avais froncé les sourcils, remontant lentement dans le journal, avant de me retrouver face au début de cette nouvelle confession, plus interdit que jamais face aux cruelles paroles qu'ennonçaient l'écriture fine qui ornait tout le livret.
30/03/64
Je t'ai déjà parlé de mon premier patient, un "enfant sauvage", enfermé toute son enfance à cause d'un simple oubli de la part de ses parents biologiques, morts par la suite. Un sujet intéressant, enfin je pensais, car lorsqu'il est enfin venu, c'est devenu plus une corvée. Je n'ai jamais vu personne d'aussi ingrat, s'il est venu à moi, c'est grâce à ses nouveaux responsables légaux, et dans leurs regards... On voit facilement tout ce qu'ils ressentent à son égard, mais là encore, je te l'ai déjà raconté.
Sa nouvelle famille lui donne tout, fait tout pour qu'il puisse avoir la meilleure vie dont il avait rêvé, lui apprend l'Anglais avec les meilleurs... Les spécialistes se l'arrachent, mais je ne voit pas l'intérêt. C'est simplement un garçon ingrat, malpoli, insuportable qui ne semble même pas remarquer toute l'attention que certains lui portent. Il hurle dés que quiconque le touche, que ce soit par amour ou non, il se débat, griffe, mord, chaque fois que quelqu'un de sa "famille" vient le chercher il crie comme si on l'écorchait vif, cette lueur dans son regard, dans celui de ses parents...
Alors j'ai juste voulu voir ce que ça faisait.
Ce que ça faisait si on l'écorchait réellement.
Je... Lui ait simplement murmuré à l'oreille que j'aurais aimé lui dire que ça ne le ferait pas souffrir, mais que cela ne serait sûrement pas le cas.
Puis je l'ai tué.
J'avoue que c'était brutal, rapide pour ma part, mais évidemment, beaucoup moins pour lui. Un rapide coup de coupe-papier, juste assez à gauche pour ne pas le tuer sur le coup. Alors que j'écris ses lignes, j'entends encore ses gémissement. Étonnement, il fait moins de bruit que lorsque sa "famille" veut le ramener "chez lui", c'est plutôt agréable.
Mais de toute façon, cela valait mieux pour lui, il ne savait pas tout ce qu'il avait, il ne s'en rendait pas compte, et tout cela ne ressemblait pour lui qu'à... Une mascarade, montée dans le seul but de le faire souffrir, alors s'il souffrait, n'était-il pas plus humain de mettre fin à ses souffrances?
Ah tiens, il s'est tût...
Il le méritait, je suis certaine qu'il le méritait! Je n'ai fais que l'aider après tout, c'était... naturel! Il le méritait en un sens... Mais oui...! Il le méritait! C'est tout ce qu'il méritait!
-"Il le méritais"...! avais-je soufflé difficilement.
A l'instant même ou je compris que les pages légèrement rougies ne l'étaient sûrement pas par le vin, je lâchai brutalement le carnet qui alla s'écraser contre le parquet dans un bruit assourdissant. J'avais un mal fou à croire ce que je venais de lire, comment... Comment était-ce possible?!
Je connaissais cette femme, depuis... des mois! Elle ne pouvait tout simplement pas être celle qui avait écrit de telles horreurs! C'était totalement... Impossible!
Choqué par cette révélation,je me mit à tituber lentement, cherchant à me tenir à quelque chose pour ne pas m'effondrer au sol à mon tour: elle était une meurtrière? Mais comment se faisait-il que la police n'en savait rien? Un meurtre tout de même!
La panique avait gagné mon esprit, et je tentais désormais de tout remettre en place avant qu'elle ne revienne, ne réussissant au passage qu'à provoquer encore plus de bruit; comme si elle ne savait pas déjà ce que je faisais...
Je crut mourir de peur lorsque j'entendis quelques pas derrière mon dos, mais étrangement, ce ne fut pas de peur que je mourus ce soir là, mais de la main de celle que j'aimais le plus:
-J'aimerais vous dire que vous ne souffrirez pas, mais ce ne sera sûrement pas le cas.Savanah Lewis m'assassina cette nuit, avec le même coupe-papier avec lequel elle avait égorgé ce pauvre enfant des années plus tôt, et je ne sut, de mon vivant, jamais qui elle avait été réellement, et a quel point elle m'avait menti.
Elle faisait partie de cette mystérieuse Confrérie sur laquelle j'enquetais dernièrement, et était même devenue depuis peu la représentante officielle de l'Envie...
Alors que moi, c'était elle que je désirait plus que tout.