Afternoon tea - Anthony&Myria

Les élèves étaient rares à cette heure-ci, la plupart avait encore cours et la bibliothèque était bien silencieuse. Myria avait passé une bonne partie de la journée à ranger et à faire l'inventaire. Certains livres, les plus populaires, commençaient à être vraiment abimés et devraient être remplacés sous peu. Elle avait bien travaillé et il était largement temps de faire une pause. Quelques coups de baguette et le service à thé était sorti, fumant et infusant tranquillement. Avec un peu de chance, en combinant ça a un peu de sucre, ça lui permettrait de retrouver suffisamment d'énergie pour tenir le reste de la journée. Bien sûr, elle n'avait pas fait qu'une tasse. La théière était dodue et contenait assez de liquide pour plusieurs personnes Remus n'était pas dans les parages, elle lui en apportait toujours une quand il étudiait ici. Le plateau fut donc dressé avec deux tasses, du lait, du sucre, un assortiment de biscuits... Beaucoup de biscuits, pour être sûre qu'elle puisse en avoir un ou deux. Anthony mangeait à une vitesse phénoménale parfois et elle se demandait bien comment il faisait pour ne pas changer de silhouette.

Elle s'approcha de son bureau, offrande à la main. Un petit sourire, elle lui demanda poliment :

« Mr. Hendricks ? J'espère que je ne vous dérange pas. »

Elle savait, par expérience, qu'il y avait très peu de chance qu'il ne soit dérangé, surtout quand il s'agissait de prendre le thé. Mais sa mère avait toujours insisté sur ses manières, ce n'était pas comme si elle pouvait s'en débarrasser facilement. Alors elle attendait qu'il confirme qu'elle pouvait s'installer avant d'agresser son espace de travail à coup de plateau

Rien qu'au regard qu'il lui lança, elle savait qu'elle pouvait s'installer. Comme si il avait attendu toute la journée pour ce qu'il se trouvait sur son plateau. Elle s'installa donc, rosissant peut-être un peu quand il lui rappela de l'appeler par son prénom. Elle était peut-être vieux jeu, mais elle devait vraiment se forcer à ne pas être trop polie. Enfin, c'était plutôt utile au ministère, où les gens adoraient se sentir importants. Être sa jumelle ? Elle secoua légèrement la tête en le dévisageant. Il était jeune, mais pas tant que ça. Puis il était fort grand, et ils n'avaient pas vraiment des visages semblables. La théière flotta dans les airs, commandé par un sortilège discret, pour remplir leurs deux tasses. Elle fronça légèrement les sourcils quand il lui dit qu'elle lui faisait prendre de l'âge. Déjà qu'Isobel la traitait de grand-mère... Elle décida de passer dessus, parce que s'emballer là dessus serait vraiment puéril, surtout qu'il ne pensait sans doute pas à mal contrairement à Mulciber. Avec un sourire et un ton léger, elle lui répondit :

« Jumeaux, je ne sais pas. D'autant que j'ai déjà un frère et que tu ne lui ressembles pas vraiment. »

Elle ne le voyait pas souvent mais soit. C'était tout de même son frère. Comme elle s'en était doutée, il se rua sur les gâteaux. A le voir, il n'avait plus mangé depuis des jours. Il pensa tout de même à la remercier, en mâchant, certes, mais l'intention était là.

« Tant mieux. Ma mère m'en envoie régulièrement, plus que nécessaire, ça serait dommage qu'ils soient abandonnés. »

Bien sur, ce n'était pas sa mère qui les avait préparés. Elle n'était pas certaine d'avoir déjà vu Mrs. Greengrass mettre pied dans la cuisine. Mais ils étaient bons tout de même. Elle en pris un elle-même, avant qu'ils ne disparaissent tous, et en croqua un morceau.

•  Oh, tu as un frère ? Comment il s'appelle ? 
  

« Arcturus. »

Un peu vieillot mais, après tout, elle venait d'une très vieille famille. Les sang-purs avaient tendance à se répéter dans leurs arbres généalogiques, probablement appréciant de pouvoir compter les troisièmes du nom.

« Tu le connais peut-être, il doit être plus proche de ton âge que du mien. » Elle pencha sa tête un peu sur le côté, tentant d'estimer le nombre d'années qu'avait vécu le bibliothécaire. Pas une tâche simple, d'autant que son comportement familier avait tendance à le faire sembler plus jeune. Son inspection ne dura qu'une poignée de seconde et elle poursuivit : « Il aura bientôt vingt-six ans. »

Les pensées de son interlocuteur semblaient l’accaparer assez, elle se surprit même à s'inquiéter qu'il ait mangé si peu par rapport à ses habitudes. Le silence ne la dérangeait pas, bien au contraire, et elle le laissa s'étirer jusqu'à ce qu'il ne fut terminé par le bruit de la porcelaine sur le bois. Elle tourna ses yeux vers Mr. Hendricks, pour découvrir qu'il était déjà en train de la fixer. Il avait un regard perçant et elle le soutint avec aise. Ce n'était, de loin, pas son boss le plus intimidant. A sa demande, elle posa sa tasse à son tour et hocha doucement la tête.

« Je pense que j'y survivrais. De quoi s'agit-il ? » Son ton avait pris des inflexions attentives, peut-être un peu maternelles comme elle avait tendance à le faire avec les jeunes élèves un peu timides.

Oh, trente-cinq ans, tout de même. Elle le voyait plus jeune. Il fallait dire que son autre boss, au ministère, en avait trente-six et, si il n'avait pas l'air plus âgé à proprement dit, avait l'air bien plus sérieux dans ses tenues et sa façon de parler. Enfin, parfois. Quand il ne tentait pas de flirter avec elle, ou peut-être que c'était juste comme ça qu'il était avec tout le monde. Soit. Il venait de la vieillir et de beaucoup. Là, elle avait moins de mal à croire qu'il n'était pas aussi jeune qu'elle l'avait supposé. Après tout, il fallait que sa mémoire soit défaillante pour ne pas se rappeler que l'an passé seulement, elle arpentait les couloirs de l'école avec un uniforme vert et argent, l'insigne de préfète-en-chef accrochée au revers de sa robe de sorcière. Ça n'aurait pas été très poli de lui faire la remarque, cependant, et elle se contenta de lever les yeux au ciel en secouant légèrement la tête.

Puis, il lui demanda si il pouvait lui poser une question un peu stupide et bien sûr elle accepta. Il commença par une plaisanterie, évidemment, sa réponse avait été une figure de style. Elle ne pensait pas qu'il y avait un risque réel de décès par interrogation. Mais cette soudaine exubérance de sa part... Elle se doutait que ça cachait quelque chose, de la nervosité sans doute. Elle se demandait vraiment ce qui pouvait le turlupiner à ce point. Puis vint la question qui fit s'agrandir légèrement les yeux de Myria, avant qu'elle ne se reprenne et ne neutralise un peu son expression. Est-ce qu'il sous-entendait... Le rouge qui apparut sur ses joues semblait pousser pour cette explication. Oh, par Circé. Elle se dit qu'il fallait qu'elle réponde. Quelque chose, vite. Il avait l'air vraiment... peu sûr de lui et elle ne voulait pas le faire se sentir encore plus mal. Elle parla d'une voix calme, un peu plus rapide que d'habitude, et peut-être légèrement essoufflée.

« Monsieur Hendricks, je suis flattée, vraiment, mais je suis fiancée. En plus, je ne suis pas certaine que ça serait bien vu par ma famille ou par la direction. »

Elle ne s'attendait vraiment pas à parler de ça quand elle avait proposé une tasse de thé.

Il avait l'air mal à l'aise. Ils étaient deux. Elle le vit grimacer et un millier de doutes passèrent dans son esprit. Principalement sur le thème des choses qu'elle aurait pu dire pour faire passer ça mieux. Pas qu'il y ait des tonnes de façon de rejeter quelqu'un, pour qui vous travaillez, de manière polie et agréable. Oh Merlin, cette conversation avait pris un tournant inconfortable. Et il la félicitait pour ces fiançailles, pour ne rien arranger. Son visage prit un air ennuyé contre son gré. Rien que l'idée des plans de ses parents... Grumf. Elle avait peut-être roulé les yeux, un peu. Mais honnêtement.

Elle s'était décidée à supporter son discours jusqu'à la fin, parce qu'elle était trop polie et mature pour s'enfuir en courant. De peu. Elle ne retint pas son soupir de soulagement quand il lui expliqua qu'elle avait mal compris. Oui, elle voyait ce qu'elle voulait dire et elle hocha d'ailleurs la tête avec enthousiasme, attrapant un biscuit pour célébrer ce non-problème. Il reformula donc sa question et elle le regarda avec curiosité.

« De ce que j'en ai vu, oui. Enfin, sans vouloir vous vexer, il vaut mieux vous avoir en portrait qu'à table, mais ce n'est pas comme si c'était un défaut à proprement dit. » Elle avait dit ça en souriant, tentant de balayer derrière eux les malentendus précédents. « Si je peux me permettre... Qu'est-ce qui vous fait penser que ça n'irait pas ? »

Youhou ! Le moment de malaise était passé. Sa dernière plaisanterie avait visiblement fait mouche et le bibliothécaire avait éclaté de rire quand elle avait mentionné son appétit. L'ambiance était maintenant bien meilleure, plus détendue. Elle reprit sa tasse en main, pour quelques petites gorgées. Elle l'écouta expliquer un peu. Elle ne s'y connaissait pas trop (les relations sentimentales, vraiment pas son fort) mais elle avait l'impression qu'il manquait cruellement de confiance en lui. Vu les regards que lui lançaient certaines élèves les plus âgées, il était manifeste qu'il était séduisant et qu'il savait le faire remarquer, même sans le faire exprès.

« Je me sens obligée de préciser que je ne suis pas du tout quelqu'un de qualifié pour vous donner ce genre de conseils. Ou à qui que ce soit d'ailleurs. »

C'était d'autant plus vrai que ses parents avaient fait "la séduction" pour elle, en un sens. Et que ça allait sans doute se terminer par un désastre. Soit, elle était là pour écouter, pas pour se plaindre.

« Pour le fait que vous ayez envie d'engagement, je ne pense pas pouvoir vous aider. Mais je ne pense pas que vous puissiez avoir du mal à trouver quelqu'un, ou de devoir savoir séduire... » Elle rosit un peu et regarda dans sa tasse, plus parce que ça l'embarrassait de parler de ce genre de choses que parce qu'elle se sentait concernée. « Juste comme vous êtes et agissez maintenant suffirait pour attirer l'attention de pas mal de gens. »

Il lui demanda pourquoi elle ne serait pas qualifiée pour donner des conseils dans ce domaine. Elle se contenta de le fixer et de lever un sourcil. Il l'avait vue, non ? Enfin, il ne savait peut-être pas à quel point elle était dans les ennuis, surtout concernant les relations sentimentales, mais tout de même. Oui, elle avait des sentiments, mais ce n'était pas pour autant qu'elle était douée pour prévoir ceux des autres. Elle pouvait dire son avis, mais elle ne voulait pas être tenue responsable si les résultats attendus n'étaient pas au rendez-vous. En le prévenant, elle se dégageait de toutes responsabilités et elle trouvait que c'était plutôt une bonne habitude, surtout si elle finissait par travailler au Ministère à plein temps.

Il la complimenta, assurant que son opinion comptait pour lui, et elle se résolu à lui donner son avis, aussi peu utile soit-il. Son avis qui consistait basiquement à lui dire qu'il n'avait qu'à se pencher pour ramasser des jeunes femmes. Mais en même temps, c'était vrai. Déjà les élèves plus âgées avaient tendance à le trouver attirant, les femmes plus dans sa tranche d'âge devaient se pousser au portillon. Ou peut-être pas, si elles pensaient toute qu'il était sans doute déjà pris. Bref, ça avait bien embarrassé Myria de devoir expliquer ça à voix haute. Ça sonnait comme si elle essayait de le draguer et ça ne lui plaisait pas trop. Et puis c'était moins gênant de fixer sa tasse voilà.

Elle l'entendu balbutier et releva les yeux. Elle le trouva au moins aussi rouge qu'elle et manifestement confus, ce qui l'aida un peu à reprendre une contenance. Puisqu'il se demandait si elle parlait bien de lui, elle lui confirma avec un petit sourire, légèrement taquin. Après tout, c'était assez amusant de voir un adulte aussi gêné devant une gamine comme elle.

« Il semblerait. Je me souviens d'avoir entendu assez de discussions à ce propos dans la salle commune pour en être sûre. »

Plus d'une fois, elle avait été convaincue que quelqu'un avait fait boire une potion d'amour à ses camarades. Amélia, par exemple, avait fait plusieurs fois des commentaires sur ses beaux yeux ou d'autres parties moins convenables de son anatomie. Mais même si il lui avait demandé son avis, ça ne voulait pas dire qu'elle voulait le voir embarrassé à tout prix. Et comme elle était polie, elle poursuivit, l'air contrit :

« Je m'excuse si je vous ai mis mal à l'aise. »

Elle ne savait pas si elle lui avait redonné l'appétit avec cette révélation ou si il mangeait pour cacher sa gêne. Dès qu'il lui répondit, elle se rendit compte à quel point ses paroles pouvaient être mal interprétée. Et l'était, visiblement. Elle n'avait bien sûr pas suggéré qu'il fasse sa vie avec une élève, simplement utilisé ça comme exemple pour justifier le fait qu'il pourrait éventuellement séduire quelqu'un facilement. Qu'est-ce qu'elle avait dit déjà ? Ah oui. Pas du tout qualifiée pour ce genre de sujet. Et elle n'était pas prête de se mêler de si il avait une vie sociale assez remplie ou pas.

« Je me doute que vous préfériez une femme de votre âge, c'est juste... » Comment formuler ça sans mettre le pied dans un plat ou dans l'autre ? « Si de jeunes filles ont ce genre de réaction, c'est que vous n'êtes pas si mauvais que ça à attirer l'attention. » Est-ce que c'était mieux ou pire qu'avant qu'elle n'ait essayé d'expliquer ? Elle n'en avait strictement aucune idée. Elle ajouta avec une touche d'humour. « J'ai la très nette impression que je m'enfonce toute seule. Et je devrais sans doute retourner travailler avant qu'un élève ne mette le feu à la bibliothèque. »

Il était assez compréhensif de ce dernier quiproquo. Enfin, vu le nombre de malentendus dans cette conversation, il pouvait bien l'être. Elle n'allait même pas se fatiguer à expliquer que, quand elle ne parlait pas de sujets largement inappropriés avant des hommes ayant presque le double de son âge, elle s'en sortait très bien avec les mots, merci. Surtout, comme il l'avait dit, que son égo semblait assez endommagé pour qu'elle ne le piétine encore un peu pour entretenir le sien.

La conversation, et leur pause, touchait à sa fin. Elle le vit se lever et, d'un coup de baguette, elle fit disparaitre tout ce qu'elle avait amené, plateau et porcelaine compris. Le tout avait été en fait rangé à sa place, nettoyé par magie. Il vint lui tenir sa chaise, bien élevé comme il l'était. Son discours se voulait motivateur, mais elle put juste ravaler son embarras de son mieux. Pas à l'aise du tout pour des sujets comme ça, ça n'avait pas changé en cinq minutes. Par contre, à sa dernière phrase, elle se contenta de sévèrement hocher la tête. Si elle voyait le français, sa journée en serait bien empirée.

« Et Merlin à intérêt à le vouloir. Je vais aller faire le tour du côté des tables d'étude pour vérifier que tout se passe bien. »

Un petit signe de tête pour s'excuser et elle se mit en route vers le reste de ses tâches de la journée.