Un petit lapin caché dans un buisson [feat Ludo]

Assis sous la fenêtre ouverte, dos calé contre le mur, Ludovic avait les yeux clos. Il était enfouis au plus profond de ses pensées, dans un lieu paisible qu'il s'était fabriqué. Portant encore sa chemise de la veille, les bras posés sur ses jambes ramenées près du corps. Malgré l'inconfort de la position, il ne bougeait pas. Il essayait d'entendre le vent qui soufflait dans les arbres tandis que l'air froid emportait les dernières parcelles de chaleur présentes dans la pièce. Il frissonna, prit une profonde inspiration avant de replonger dans son état de méditation. C'était un truc qu'il avait appris d'un sorcier dont il avait oublié le nom. Une forme de repos profond, bien plus apaisant que le sommeil.

Il regrettait beaucoup que la salle de sortilège, et par conséquent sa chambre, se trouvent au deuxième étage. Il avait l'impression d'être enterré, écrasé par les innombrables pièces au-dessus de sa tête et la minuscule fenêtre offrait un maigre échappatoire. Il aurait bien aimé pouvoir encore loger dans une des hautes tours du château, là au moins on vous laissait tranquille, mais on a rarement ce que l'on veut, il le savait bien.

Trois coups timides frappèrent à la porte. Il leva les yeux, droit devant lui, comme si son regard allait faire fondre la pierre du mur d'en face. Il ne voulait pas bouger, rester encore un peu paisible, normal. Ne pas être obligé d'être aimable, mais le charme était brisé. Les briques commencèrent à lui faire mal au dos et ses jambes étaient parcourues de crampes. Il tourna la tête. Fixa la porte. Se redressa et ferma la fenêtre.

D'un pas lent, il traversa la salle disproportionnée qu'était sa chambre. Par un sortilège de volumes, il l'avait rendue si grande qu'elle aurait pu abriter une maison. Elle ne comprenait pourtant qu'un lit, assez classique pour Poudlard, une penderie, une bibliothèque peu remplie, une chaise et une longue table sur laquelle reposait une lampe. Rien d'autre, aucune photo, aucun objet insolite, pas même un papier ne trainait. Ce qui était bien différent du désordre ambiant de son bureau.

Ludovic ne se fatigua pas à enfiler une veste et s'arrêta devant la porte. Il se passa la main sur le visage avant de l'entre-ouvrir. Juste assez pour voir qui venait le déranger, pas assez pour que cette personne puisse voir l'intérieur de la pièce, surtout avec lui dans l’entrebâillement.

C'était la garde-chasse. Elizabeth Hash, il avait révisé ses noms depuis leur dernière rencontre. Il lui adressa un léger sourire, le sourcil interrogateur.

— Oui ? demanda-t-il d'un ton égal à mi-chemin entre la curiosité et la prudence.

Ludovic regarda la garde-chasse bafouiller, attendant la fin de la phrase qui semblait ne jamais devoir arriver. Elle avait beaucoup moins de mal à parler la dernière fois qu'il l'avait vu. Encore heureux qu'elle ne se soit pas lancée dans un discours. Il comprit uniquement le mot "bonjour". La suite sembla tout de même s'arranger, bien que la jeune femme parlait parfois si vite qu'il lui fallait un peu de temps pour enregistrer ce qu'elle lui racontait, il n'eut pas trop de difficultés à saisir le reste.

-Je suis désolée de vous avoir réveillé... Il fait beau et comme je vous avais proposé de venir dans la forêt... Mais ce n'est pas grave! Je suis désolée! Je n'aurais pas dut venir! J'aurais dût vous demander avant... Je...

— Oh ! s'exclama Ludo, soulagé tandis qu'Elizabeth faisait un pas en arrière, l'air visiblement gênée.

- Je suis désolée de vous avoir dérangé! Ca ne se reproduira plus!

— Restez, lança-t-il aussitôt pour éviter qu'elle ne s'enfuit. Je ne dormais pas. Vous ne m'avez pas dérangé. J'ai cru que vous aviez un problème avec un élève ou n'importe quoi dans le genre.

Il lui adressa un sourire amical pour essayer de la détendre un peu. Il y avait peu de chance que ça marche vu la façon dont elle se tordait les mains, mais il ne pouvait pas faire beaucoup mieux.

— Vous n'avez qu'a m'attendre là, je vais mettre quelque chose d'un peu plus adapté et je vous rejoint.

Il recula un peu, l'examina un instant et hocha la tête.

— Vous ne vous enfuyez pas. D'accord ? J'en ai pour dix minutes maximum.

Puis il claqua la porte. Ce n'était pas tout à fait volontaire, les courants d'air n'avaient pas aidés, mais il n'avait pas fait particulièrement d'efforts. Une sortie en forêt n'était pas une mauvaise idée, cela lui ferait sans doute du bien. Il traversa la pièce jusqu'à la commode et récupéra quelques affaires qui ne craignaient pas l'usure. Il s'arrêta une seconde, ça lui rappelait... bah, aucune importance. Il retira sa chemise froissée et son pantalon en toile pour enfiler un jean et un t-shirt. Ce n'était peut-être pas à la mode, mais qu'est-ce qu'il s'y sentait bien. C'était autre chose que les robes de sorcier. Il passa une vieille veste et des chaussures de marche avant de se frotter le menton. Il commençait à avoir un peu de barbe, mais pas le temps de se raser.

Une fois prêt, il retourna à l'entrée, sortit et ferma la porte plus vite que son ombre. Sa chambre verrouillée, il adressa un sourire à la garde-chasse, espérant ne pas l'avoir faite attendre trop longtemps.

— Je vous suis, dit-il.

-Heu... Okay! Et bien allons-y!

Ludovic eut un regard amusé en plus du sourire, pas mal malgré l'accent prononcé. Enfin, il ne pouvait sans doute plus dire cela vu que lui aussi avait fini par l'attraper, cette étrange manie de parler anglais. Il se demanda soudain à quoi cela ressemblerait s'il se remettait au français, il n'avait plus pratiqué depuis des années, mais cela restait sa langue maternelle. Il ne se posa pas longtemps la question, sa voix anglaise lui plaisait bien plus que celle, un peu trop aiguë, qu'il avait lorsqu'il sortait deux trois mots de vocabulaire pour faire son intéressant.

Il suivit la jeune femme à travers le couloir. Étonnamment, il n'eut pas besoin de ralentir pour être à son niveau. D'habitude, ses grandes enjambées lui donnaient toujours un mètre d'avance s'il n'y faisait pas attention, mais la garde-chasse avançait si vite qu'elle le rattrapait sans problème. Il se demanda si elle s'en rendait compte.

Ils débouchèrent du château dans un air assez doux. Ludovic n'avait pas eut le temps de se réchauffer depuis qu'il avait fermé la fenêtre. Mains enfoncées dans ses poches, il sentait qu'il ne tarderait pas à frissonner. Il n'allait pas se plaindre pour autant, cela aurait été dommage de gâcher cette journée. Il suffisait qu'ils marchent et cela passerait. La garde-chasse s'arrêta, Ludovic faillit ne pas la voir et continuer son chemin. Il tourna la tête vers elle est stoppa.

-Il y a quelque chose de particulier que vous aimeriez voir? Ou on se contente de voir où mènent nos pas?

Le professeur eut un sourire, bah oui quoi, il n'arrêtait jamais de sourire, mais celui-ci était doux et saupoudré d'un petit air moqueur.

— Où nos pas nous mènent ? reprit-il. C'est un si vaste programme qu'on ne peut pas le refuser. Alors droit devant pour commencer, vous n'aurez qu'à me dire s'il y a quelque chose à regarder.

Il s'avança dans les obscures sous-bois. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas mis les pieds dans les environs que des milliers d'arbres avaient dut avoir le temps d'y pousser. Le tapis de feuilles et de mousses craqua légèrement sous ses pieds, les murmures des créatures enfouis dans les profondeurs s’élevèrent peu à peu, les troncs géants grincèrent d'une plainte monocorde... des sons familiers qui avaient tant manqués à ses oreilles commençaient à l'entourer. Il prit une profonde inspiration chargée de l'odeur puissante de la végétation mêlée de magie. Il en oubliait presque le froid.

Il lui sembla que la garde-chasse lui disait quelque chose, il tourna la tête vers elle sans savoir quoi dire. Avait-il rêvé ou devait-il répondre à une quelconque question ? Dans un cas comme dans l'autre, il aurait bien risqué de dire quelque chose de travers.

Une tornade poilue passa juste à côté du professeur qui n'eut, par chance, pas besoin de s'écarter pour éviter de se faire renverser. La garde-chasse en revanche fut littéralement plaquée au sol par la bestiole pleine d'affection qu'était le chien énorme qui venait d'arriver. Ludovic ne put s'empêcher un rire avant d'aller prêter main forte à la pauvre jeune femme.

— Cet ours vous connais ? demanda-t-il. Tout va bien rien de cassé ?

Il lui tendit la main et l'aida à se relever. Le chien aboya. Ludovic le regarda avec un drôle d'air et répondit sur le même ton :

— Quoi ?

Il reporta son attention sur la propriétaire de l'animal. Mis à part un bon paquet de feuilles collées sur les jambes et le dos elle ne semblait pas avoir trop souffert des retrouvailles. Elle avait l'air un peu honteuse, il connaissait bien ça, cela lui était arrivé plus d'une fois de se mettre dans des situations embarrassantes. Encore heureux que le ridicule ne tue pas. Il fit en sorte de la détendre un peu.

— Je n'ai jamais eu de tigre, il est un peu maigre non ? Vous devriez lui donner double ration de pâtée, ça vous éviterais de vous faire dévorer à chaque fois qu'il vous voit.

Il leva le bras pour retirer un bout de brindille des cheveux de la jeune femme et lui mit dans la main. Il restait encore quelques feuilles, mais il n'allait pas non plus l'épouiller, cela aurait été un peu bizarre, même venant de lui.

— Passez voir Lady Chourave en rentrant, elle se fera un plaisir de vous faire une petite coupe. Il doit bien y avoir deux ou trois choses utiles là-dedans.

Il s'écarta et retourna sur le chemin, enfin si on pouvait parler de chemin. Il était temps de mettre un peu de dynamisme dans cette promenade, il commençait à geler à force de rester sur place.

— Il y avait une vieille souche en forme de gobelin dans le coin, je me demande si elle y est encore, lança-t-il en agitant les bras pour se réchauffer.

Ludovic écouta la garde-chasse avec une pointe de regret. Dommage pour la souche, il ne savait pas très bien quel genre d'attraction proposer à la place. Ils n'allaient pas non plus se rendre près du saule cogneur. Déjà, ce n'était pas vraiment dans la forêt et puis il n'y avait aucun intérêt à se faire casser une jambe juste pour le plaisir. Si on pouvait parler de plaisir.

La jeune femme ne termina pas sa phrase et sembla soudain s'être mise sur le qui-vive. Le professeur tourna la tête vers ce qu'elle regardait, mais ne vit rien. Il fronça un sourcil, intrigué et un peu inquiet également. Un geste brusque attira son attention du côté d'Elizabeth, elle venait de sortir sa baguette. Il allait en faire de même lorsqu'un terrible lapin passa entre eux et disparut dans les buissons. Il eut tout juste le temps d'apercevoir un petit arrière-train orné d'un morceau de coton.

Elizabeth se mit à rire, mais cela n'amusa pas Ludovic. Il n'y avait aucune raison pour qu'un lapin fonce ainsi sur des promeneur, surtout avec un chien à leurs côté. Normalement, il était rare de croiser des créatures en forêt, dans n'importe qu'elle forêt. Elles se cachaient à votre approche ou couraient loin de vous, si bien que vous ne pouviez en trouver que des traces. Lorsqu'un animal fuyait entre vos jambes, surtout une petite bête si souvent prise comme proie, c'est que quelque chose de plus gros que vous l'avait terrorisé.

Ludovic sortit sa baguette et attrapa la jeune femme par la manche.

— On ferait mieux de ne pas rester dans la coin, murmura-t-il d'une voix pressante.

Comme pour appuyer ce qu'il venait de dire, le sol se mit à vibrer et un bruit de tonnerre s'éleva de nul-part. Ludovic regarda rapidement autour d'eux, il n'y avait aucun arbre aux branches basses, aucun rocher ou grimper. Il tira le bras d'Elizabeth pour qu'elle vienne avec lui et l'entraina derrière l'un des énormes tronc géant, de façon à être caché de ce qui approchait. Il espéra ne pas s'être trompé sur l'origine du son ou rester plaqué conter l'écorce n'aurait servit à rien. Avec un peu de chance, les créatures en approche passeraient autour de leur abri de fortune sans les voir. Sinon, ils ne tarderaient pas à se faire écraser, voir pire selon ce qui sortirait de la forêt.

La tête plaquée contre l'écorce, Ludovic fixait la lointaine frondaison en priant toutes les divinités dont il avait pu entendre parler pour ne pas finir dans cette forêt. Cela aurait été la pire mort qu'il ait pu imaginer. Enfin non, il avait déjà pensé mourir lorsqu'un camion de tapis avait accidentellement déversé sa cargaison sur lui, mais c'était à une autre époque. Il tourna légèrement la tête, sentant une douce chaleur se diffuser dans son bras, celui d'Elizabeth se trouvait contre le sien. C'était plutôt sympa avec ce froid.

Soudain, la garde-chasse quitta l'abri du tronc pour se planter au beau milieu du passage. Ludovic la regarda sans même essayer de la retenir. Il en aurait été bien incapable. Il ne savait pas bien s'il devait être effrayé, impressionné ou bien juste surpris, alors il se contenta de rester plaquer contre l'arbre et d'attendre. Figé par la peur ? Plutôt par la raison, on ne se met pas au milieu du chemin lorsqu'une cavalerie charge. Notion de survie élémentaire.

Le bruit s'était enfin précisé, devenu un puissant martèlement de sabots. Ludovic ferma un oeil, s'attendant à voir la garde-chasse se faire piétiner d'une seconde à l'autre. Rien ne se produisit, le bruit avait cessé. Le professeur tendit l'oreille. Il entendait le souffle d'une bonne dizaine de créatures non identifiées montées sur pattes de cheval. Elizabeth commença à leur parler et l'homme caché derrière l'arbre dut se rendre à l'évidence qu'il s'agissait de centaures.

— Et merde, lâcha-t-il entre ses dents.

La conversation lui semblait un peu confuse, en même temps, il n'avait pas très bien écouté. Il était question d'une forêt géante et d'affaires de loups... enfin quelque chose du genre. Tout à coup, il entendit distinctement l'un des centaures parler d'un autre humain. Après une seconde d'espoir fou, Ludovic dut se rendre à l'évidence que c'était de lui dont il était question. Il glissa sa baguette à sa ceinture, de façon à pouvoir la dégainer rapidement si besoin et s'appuya un peu plus contre l'écorce. Dire que cette journée avait semblé si normale ce matin-là...

Il sortit doucement de derrière sa cachette, prenant soin de ne pas avoir l'air agressif ou effrayé. Les centaures étaient difficiles à traiter. Il fallait se montrer respectueux sans se laisser marcher sur les pieds pour autant. En somme, être fier et orgueilleux comme un poney humain.

— Salutations, lança Ludovic en quittant le couvert. Je...

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'une flèche de quarante centimètres s'enfonça à ses pieds. Il ne devait la vie qu'à un réflexe salutaire. Il allait sortir une insulte, mais se retint de justesse, enfin presque.

— Wo putain ! Non, mais ça va pas la tête ? s'exclama-t-il.

Il se maudit un peu tard d'avoir perdu son calme. Il venait de reconnaitre le centaure qui lui avait tiré dessus et aurait soudain préféré être mort et enterré. Ou bien avoir claqué définitivement la porte à Elizabeth, quelques heures plus tôt. Si seulement il l'avait fait, il aurait été plus ou moins certain d'être encore en vie à la fin de la journée.

— Tiens... fit Ludovic d'une voix étrangement déformée par un accent français surgit du tréfonds de sa peur. Shirones. Je te croyais mort. Tu ne m'en veut pas encore quand même, si ? C'est du passé tu sais, on pourrait peut-être faire une croix dessus tu ne pense pas ? Ou alors je m'en vais et tu ne me revois plus, promis. Ce serait quand même dommage de t'abaisser à me faire la peau non ? Je n'en vaut peut-être pas la peine.

Le centaure souffla de colère, le regard furieux, la main prête à récupérer une nouvelle flèche.

— Ah bah si...

Ludovic prit une grande inspiration pour essayer de se calmer, fixant le regard de braise du centaure. Tout à coup, une silhouette se plaça entre lui et la créature. La garde-chasse venait de s'interposer. L'homme la regarda, interloqué, ayant encore du mal à réaliser ce qui se passait. Sa question le prit un peu au dépourvu. Il bafouilla un peu avant d'arriver à aligner quelques mots cohérents :

— C'est une longue histoire.

C'était complétement inutile, mais ça résumait assez bien le passif entre les deux. Il n'y avait pas besoin d'en savoir beaucoup plus, de toute façon, quand un centaure vous avait prit en grippe que ce soit pour une bonne ou une mauvaise raison, vous saviez que la mort n'était pas loin.

Elizabeth tenta de calmer les créatures qui commençaient à s'agiter de plus en plus. Ludovic aurait bien aimer lui souffler un "désolé", mais rien ne semblait pouvoir sortir.

— Lâche un jour, lâche toujours, clama Shirones sur un ton de moquerie avant de cracher par terre, sans baisser son arc.

Ludovic se figea, le regard noir. Il attrapa la garde-chasse par les épaules et la décala pour faire un pas en avant. Enroulant ses doigts autour de la première flèche, il la sortit du sol, non sans quelques difficultés et s'approcha du centaure courroucé.

— Je suis un lâche ? demanda-t-il d'un ton calme, tapotant sa jambe de la pointe de fer. Tu trouve que j'ai l'air d'un lâche ?

Il lança la flèche aux sabots du centaure.

— Regarde moi dans les yeux et dis-le moi, il prit une inspiration. Est-ce que je suis un lâche ?

Le centaure ne répondit pas, fronçant le nez de cette manière bien particulière qu'on les centaures de le faire lorsque vous les énervés. L'homme ne recula pas pour autant.

— Bien... poursuivit le professeur en écartant les bras. Maintenant regarde encore, comme lorsque tu lis le ciel, et dit moi. Dit moi si me tuer te vengerais.

Il garda les yeux plantés droit dans ceux du centaure qui souffla de colère et frotta le sol du sabot. On disait beaucoup de choses sur ces créatures, il existait beaucoup de livres pour savoir comment dialoguer et établir des relations avec eux. Ludovic en avait lu certains, oublié beaucoup, mais à quoi bon tout cela par rapport à l'instinct ?

Le centaure tendit brusquement son arc vers le ciel et tira. Puis il baissa les armes et recula dans sa harde d'un pas lourd. Le professeur reprit son souffle et ferma les paupières, les bras encore ouvert. Un exploit ? De la magie ? Quoi qu'il se soit passé, Ludovic n'en tirerait aucune fierté.

Ludovic sursauta presque en entendant la voix de la garde-chasse dans son dos. Il baissa les bras et tourna à demi la tête vers elle, sans quitter les centaures des yeux. L'un d'entre eux se mit à parler, il ne le connaissait pas et peut-être cela valait-il mieux. La phrase était des plus obscures, digne d'un professeur de Divination qui parle en dormant. Malgré tout, l'homme essaya de lui donner un sens. Après tout, la divination avait toujours été l'un de ses passe-temps préféré lorsqu'il était jeune, peut-être qu'il n'avait pas perdu la main.

Il fut tiré de ses pensées par une pression sur sa manche. Elizabeth le tirait en arrière. Il la suivit sans faire d'histoire, pareil à un somnambule, prenant soin de ne tourner le dos aux créatures magiques qu'une fois ces dernières hors de vue. Au bout d'un moment, la jeune femme le lâcha et Ludovic fourra les mains dans ses poches, silencieux, se contentant de regarder où il mettait les pieds. Une racine, un creux, une branche, de la brume... une chose à la fois.

Il leva à peine la tête lorsque la jeune femme débuta les reproches, le traitant d'imbécile en passant. Il aurait bien aimé se contenter d'un soupir désapprobateur, mais il sentait qu'après un coup pareil il n'en avait pas vraiment le droit.

— Je savais qu'il le ferait pas, répondit-il. A quatre-vingt dix pour cent. Il voulait se venger, maintenant c'est fait.

Il n'ajouta rien de plus. Elle n'avait pas besoin d'en savoir d'avantage. Ils débouchèrent de la forêt alors que le soleil semblait tout juste s'élever dans le ciel. Il était pourtant près de midi, mais la perte de la notion du temps était une chose fréquente dans ces bois ensorcelés. Alors qu'il n'y avait plus qu'un pas entre eux et la lisière, Ludovic agrippa le bras de la garde-chasse pour la freiner.

— Je suis désolé pour tout à l'heure. Des vieilles histoires qui gâchent la fête, ça m'arrive souvent hélas. Une sorte de malédiction.

Il eut une seconde d'hésitation et se pencha vers elle pour lui faire une bise sur la joue, à quelques centimètres du coin de ses lèvres. Assez brève, juste histoire de se faire pardonner et de la remercier, mais pas un de ces faux baisers où l'on vous tape le coin de la mâchoire en se contentant d'embrasser le vide. Il n'avait jamais compris l'intérêt.

— Merci pour la promenade, fit-il en franchissant le couvert des arbres. N'hésitez pas si vous voulez revenir me voir un de ces jours, je connais aussi un certain nombre de chèvres sauvages, ça peut être assez amusant.

Il lui adressa un sourire avant de pivoter et retourner à grands pas au château, le regard voilé.